Payer pour vivre chez soi après une séparation : l’indemnité d’occupation
- quentinprim
- 11 sept. 2024
- 4 min de lecture

Vous avez acquis avec votre conjoint(e) un logement dans lequel vous vivez à deux. Lors de la séparation, vous convenez que l’un d’entre vous continuera à l'occuper en attendant sa vente ou le rachat de la part de l’autre. Durant toute cette période, celui qui aura la jouissance exclusive de ce logement sera redevable d’une indemnité d’occupation.
L’indemnité d’occupation est un effet du régime de l’indivision. Par principe, les droits des indivisaires quant à l’usage des biens indivis sont égaux et concurrents : chacun a autant le droit que l'autre d'occuper l'immeuble (art. 815-9, al. 1 C. civ.).
En cas de séparation, la cohabitation peut s’avérer difficile et il est alors préférable qu’un seul des indivisaires conserve la jouissance du logement, empêchant l’autre d’y avoir accès. Dès lors qu’il en a la jouissance exclusive, il prive son coïndivisaire d’une partie de ses droits et est par conséquent redevable d’une indemnité d’occupation (art. 815-9, al. 2 C. civ.).
Jouissance privative
L’indemnité d’occupation n’est due qu’en cas de jouissance privative. Cela signifie qu’un seul indivisaire a accès à l’usage du bien, l’autre étant exclu de cet usage.
Cette jouissance privative se définit par l’impossibilité de droit ou de fait pour l’autre indivisaire d’accéder au bien indivis (Civ. 1ère, 8 juil. 2009, n° 07-19.465).
L’impossibilité de droit renvoie à une décision de justice ayant attribué la jouissance du bien à l’un des indivisaires (en général, l’ordonnance de mesures provisoires dans le cadre du divorce).
L’impossibilité de fait est plus délicate à caractériser et dépend des circonstances d’espèce. Le principal critère utilisé par la jurisprudence est la détention exclusive des clés permettant l’accès au bien : si un seul des indivisaires détient les clés, il est considéré en avoir la jouissance privative (Civ. 1ère, 31 mars 2016, n° 15-10.748), même s’il n’occupe pas effectivement l’immeuble (Civ. 1ère, 23 juin 2010, n° 09-13.250) ou qu’il n’en occupe qu’une partie (Civ. 1ère, 12 juin 2018, n° 17-17.243).
A défaut de détention exclusive des clés par l’un des indivisaires, il conviendra de prouver par tout moyen qu’il est seul à user du logement et que l’autre conjoint n’a plus l’occasion d’y accéder hors la présence et l’accord de l’occupant.
Point de départ et calcul de l’indemnité d’occupation
L’indemnité d’occupation est en principe due dès lors qu’apparaît l’occupation privative, c’est à dire dès la fin de la cohabitation.
Exception : en matière de divorce, la jouissance du logement est gratuite jusqu’à la demande en divorce, sauf si le juge en décide autrement (art. 262-1, al. 2 C. civ.). Si la séparation a lieu avant l’introduction de la demande en divorce, aucune indemnité d’occupation n’est due en principe entre ces deux dates.
Le juge fixe librement le montant de l’indemnité d’occupation. L’usage veut qu’il soit égal à 80% de la valeur locative du logement. Une estimation de cette valeur est par conséquent essentielle.
Son montant peut toutefois être moindre en tenant compte de certaines caractéristiques spécifiques, comme la vétusté du bien ou le fait que l’occupant loge dans le bien indivis avec les enfants du couple.
Paiement de l’indemnité
Cette indemnité est due à l’indivision et pas à l’autre indivisaire directement (Civ. 1ère, 15 mars 2023, n° 21-15.183). Elle est ensuite répartie selon les droits de chacun dans l’indivision.
Elle n’est pas versée mensuellement comme un loyer mais s’impute sur les droits de chacun lors du partage.
Exemple : Louis détient une quote-part de 80% sur une maison et Louison une quote-part de 20%. La maison a une valeur de 100. Louis occupe privativement le bien depuis 10 mois et l’indemnité d’occupation est égale à 10.
Louis doit 10 x 10 = 100 à l’indivision. L’actif de l’indivision est par conséquent de 100 (valeur de l’immeuble) + 100 (indemnité d’occupation) = 200. Sur ce montant, Louis a droit à 80% soit 160, moins les 100 qu’il doit à l’indivision, ce qui donne 60. Louison a droit à 20% soit 40.
Ainsi, sur la valeur de 100 de la maison, la part revenant à Louis est de seulement 60 en tenant compte de son indemnité d’occupation, alors que sa quote-part est de 80%.
Attention : la créance d’indemnité d’occupation se prescrit au bout de cinq ans (art. 815-10, al. 3 C. civ.). Cela signifie que seules les cinq dernières années d’occupation privative pourront donner lieu à indemnisation.
Exclusion de l’indemnité d’occupation
Il peut arriver qu’aucune indemnité d’occupation ne soit due, quand bien même l’indivisaire occuperait le logement de manière privative.
C’est d’abord le cas lorsqu’un juge lui a attribué la jouissance du logement à titre gratuit dans le cadre d’un divorce (art. 255, 4° C. civ.). Attention : dans cette situation, la jouissance gratuite du logement est considérée fiscalement comme un avantage assimilable à une pension alimentaire, il doit être déclaré parmi ses revenus par l’époux qui en bénéficie et est déductible des revenus de l’autre.
C’est aussi le cas lorsque l’indivisaire occupe le logement sur un autre fondement que l’occupation précaire, au titre d’un prêt à usage ou d’un bail d’habitation par exemple. Les indivisaires peuvent ainsi convenir de la situation juridique applicable à l’occupation de leur bien.
Enfin, aucune indemnité d’occupation n’est due si l’indivision ne porte pas sur la jouissance du bien. Plus précisément, il arrive parfois que les indivisaires soient seulement nus-propriétaires du logement, l’usufruitier étant un tiers. Dans cette hypothèse, ils ne sont pas titulaires du droit aux fruits générés par l’immeuble, et leur indivision ne peut donc revendiquer d’indemnité d’occupation (Civ. 1ère, 1erjuin 2023, n° 21-14.924).
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